Réparation de la concurrence déloyale : à défaut de préjudice économique, le Juge doit indemniser le préjudice moral intégrant l’atteinte à l’image

4 juin 2025

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AVODIRE

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  • Droit économique

Face à la résistance des juges du fond, la Cour de cassation poursuit patiemment et méthodiquement sa construction jurisprudentielle en matière de réparation d’actes de concurrence déloyale dans un nouvel arrêt rendu le 9 avril 2025 (pourvoi n°23-22.122).

Dans cette affaire, des chauffeurs de taxis ont assigné la société Uber France après le lancement de son application mobile « Uber Pop » consistant à faciliter la mise en relation des particuliers entre eux afin de réaliser des prestations payantes de transport de passagers. 

Condamnée par la Cour d’appel de Paris, Uber France a interjeté un pourvoi en cassation.  

Après avoir rappelé que sont constitutifs d’actes de concurrence déloyale le fait de « parasiter les efforts et investissements d’un concurrent » et/ou ou de « s’affranchir d’une réglementation », la Cour de cassation souligne qu’il existe deux catégories distinctes de préjudices réparables (préjudice économique et préjudice moral) (1.), confirme sous certaines circonstance qu’il est possible d’évaluer le préjudice économique en tenant compte l’avantage indu que s’est octroyé l’auteur de la concurrence déloyale (2.) et qu’à défaut de préjudice économique, il appartient aux Juges d’indemniser le préjudice moral dont l’existence est irréfragablement présumée (3.).

1. Quels sont les préjudices réparables en matière d’actes de concurrence déloyale ? 

La Cour de cassation rappelle dans cet arrêt que l’action en concurrence déloyale sur le fondement sur l’article 1382 du Code civil devenu article 1240 est de nature délictuelle et doit donc faire application du principe de réparation intégrale du préjudice, sans perte ni profit pour la victime.

Il existe en la matière deux catégories distinctes de préjudice (le préjudice économique et le préjudice moral) suivant des régimes notamment probatoires différents. 

– S’agissant du préjudice économique, il consiste (classiquement) soit à réparer une perte subie, un gain manqué, une perte de chance d’éviter une perte ou de réaliser un gain. Il doit être prouvé par la victime des actes de concurrence déloyale

 – S’agissant du préjudice moral, il consiste à réparer un trouble commercial intégrant la perte d’image qui est irréfragablement présumé dès lors qu’un acte de concurrence déloyale est constitué. Ceci implique que le préjudice moral doit toujours être indemnisé.

2. Comment évaluer le préjudice économique quand la victime justifie d’aucune perte de chiffre d’affaires ? 

L’acte de concurrence déloyale qu’il s’agisse d’un cas de parasitisme consistant, rappelons-le, à profiter des efforts et investissements, intellectuels, matériels ou promotionnels d’un concurrence (pour plus de détails sur la notion de parasitisme, nous renvoyons à notre commentaire du mois de juillet 2024 – La reprise par un concurrent d’un concept ou d’un produit n’est plus (nécessairement) un acte de parasitisme – Avodire) ou d’un cas de non-respect de la réglementation permettant à l’auteur de s’épargner une dépense obligatoire (pour une illustration liée au non-respect du RGPD, nous renvoyons à notre commentaire du mois de novembre 2024 – Le non-respect du RGPD peut-il constituer un acte de concurrence déloyale ?  – Avodire) induit un avantage concurrentiel indu dont les effets en termes de trouble économique peuvent être difficilement quantifiables. 

Dans un tel cas, il est admis que la réparation du préjudice peut être évaluée en prenant en considération l’avantage indu que s’est octroyé l’auteur de la concurrence déloyale, au détriment de ses concurrents, modulé à proportion des volumes d’affaires respectifs des parties affectées par ces actes.

Cette méthode d’évaluation a déjà été validée par la Cour de cassation dans son arrêt du 12 février 2020 (pourvoi n°17-31.614).

Il est ici précisé que si cette méthode vise à faciliter l’indemnisation effective des victimes de certains actes de concurrence déloyale ou parasitaire lorsqu’elles se heurtent à des difficultés de preuve de leur préjudice, elle ne peut aboutir en vertu du principe de réparation intégrale susvisée à une évaluation des dommages-intérêts dus à la victime qui excéderait l’avantage indu que s’est octroyé l’auteur de ces actes.

3. L’indemnisation du préjudice moral à défaut de preuve d’un préjudice économique ? 

Dans l’hypothèse où la victime n’est pas susceptible d’établir un quelconque préjudice économique (voire n’en a pas subi), seul le préjudice moral intégrant l’atteinte à l’image doit alors être indemnisé.

Dans la mesure où le préjudice est présumé, le Juge doit en principe entrer en voie de condamnation du seul fait de l’atteinte causée au marché pour réparer le trouble commercial et ce, même s’il n’y a pas de préjudice économique   

Cette présomption étant irréfragable, il appartient à l’auteur de la concurrence déloyale pour échapper à une condamnation au titre du préjudice moral de rapporter la preuve qu’il n’y a pas eu de trouble commercial et non à la victime de prouver l’existence d’un tel trouble. 

En l’espèce, la Cour d’appel de Paris a indemnisé l’atteinte à l’image à hauteur de 1 500 euros de sorte que la Cour de cassation infirme l’arrêt d’appel mais seulement en ce qu’il a également accordé aux chauffeurs de taxis des dommages-intérêts pour réparer un préjudice économique qui n’était pas établi.

Sont ainsi mis en lumière les trois aspects fondamentaux de la jurisprudence de la Cour de cassation en matière de concurrence déloyale : 

  • L’élément matériel constitutif de la concurrence déloyale résulte de la seule atteinte causée au marché (par le parasitisme ou par le non-respect de la réglementation) induisant pour son auteur un avantage indu dans la concurrence ; 
  • Le préjudice réparable en matière de concurrence déloyale peut n’être que le préjudice moral incluant l’atteinte à l’image de la victime ; et enfin
  • Le préjudice moral étant irréfragablement présumé dès lors que l’atteinte au marché est caractérisée, il convient que le préjudice moral soit indemnisé alors même que la victime n’a subi aucun préjudice économique.

Vous trouvez ci-dessous le lien vers l’arrêt de la Cour de cassation :

Pourvoi n°23-22.122 | Cour de cassation

Et l’arrêt de la Cour d’appel de Paris : 

Décision – Cour d’appel de Paris : RG n°21/22383 | Cour de cassation

Roland Rinaldo

roland.rinaldo@avodire.fr