Réseaux de franchise ou de distribution : la tête de réseau a-t-elle l’obligation de mettre à jour le Document d’Information Précontractuelle ?
7 janvier 2025
| |- Droit économique
L’entreprise à la tête d’un réseau commercial qui met à disposition des membres du réseau un nom commercial, une marque ou une enseigne en contrepartie d’un engagement d’approvisionnement exclusif doit impérativement remettre au préalable un Document d’Information Précontractuelle (DIP) à toute personne candidatant pour adhérer à ce réseau.
La Loi (notamment les articles L.330-3 et R.330-1 du Code de commerce) prévoit les mentions obligatoires du DIP et les modalités de remise du DIP au candidat préalablement à la signature du contrat formalisant l’adhésion au réseau.
La Cour de cassation vient de préciser dans son arrêt de la chambre commerciale du 4 décembre 2024 (pourvoi n°23-16.684) une obligation de mettre à jour le DIP en cas d’évènement impactant de façon significative l’état du réseau survenu entre la remise du DIP et la conclusion du contrat.
La tête de réseau a l’obligation de remettre avant la conclusion du contrat un DIP contenant les informations prévues par la Loi au candidat (1.). Le non-respect de l’obligation de remise du DIP peut notamment donner lieu à diverses sanctions contre la tête de réseau pouvant aller jusqu’à l’annulation du contrat (2.). Il est désormais admis que la survenance entre la remise du DIP et la conclusion du contrat d’un évènement affectant de façon significative l’état du réseau impose une mise à jour du DIP (3.).
1. L’entreprise-tête de réseau est obligée de remettre un DIP à tout nouvel entrant
Au sein d’un réseau commercial (qu’il s’agisse d’un réseau de distribution ou de franchise), il est courant que l’entreprise-tête de réseau qui est celle qui coordonne et organise les différentes activités au sein du réseau mette à disposition un nom commercial, une marque ou une enseigne en contrepartie d’un engagement d’exclusivité du candidat exercer son activité au sein du réseau.
Dans cette hypothèse, la tête de réseau a l’obligation de fournir au candidat un DIP, préalablement à la signature du contrat formalisant la relation des parties au sein du réseau, en vertu de l’article de L.330-3 du Code de commerce.
L’objectif du DIP est d’informer le candidat souhaitant rejoindre le réseau notamment sur l’ancienneté et l’expérience de la tête de réseau, l’état et les perspectives de développement du marché concerné, l’importance du réseau d’exploitants, la durée du contrat, ses conditions de renouvellement, de résiliation et de cession du contrat ainsi que le champ des exclusivités.
Si le versement d’une somme est exigé préalablement à la signature du contrat, les prestations assurées en contrepartie de cette somme doivent être précisées par écrit ainsi que les obligations réciproques des parties en cas de dédit.
L’article R. 330-1 du Code de commerce précise la liste des informations devant impérativement figurer dans le DIP et incluant notamment :
- L’adresse du siège de l’entreprise et la nature de ses activités avec l’indication de sa forme juridique et de l’identité du chef d’entreprise s’il s’agit d’une personne physique ou des dirigeants s’il s’agit d’une personne morale ; le cas échéant, le montant du capital ;
- La présentation du réseau ;
- La désignation de la marque mise à disposition ;
- Les domiciliations bancaires de l’entreprise-tête de réseau ;
- La date de la création de l’entreprise avec un rappel des principales étapes de son évolution ;
- la nature et le montant des dépenses et investissements spécifiques à l’enseigne ou à la marque mise à disposition qui devront être engagés pour démarrer l’exploitation ;
- l’état général et local du marché de produits ou services-objet du contrat, étant précisé que l’analyse de l’état local du marché peut être, si cela est prévu par le DIP, laissé à la charge du candidat ;
- ainsi que les perspectives de développement de ce marché.
Les informations susvisées peuvent ne porter que sur les cinq dernières années qui précèdent la remise du DIP.
2. Les sanctions encourues à défaut de remise d’un DIP conforme à la Loi
Le non-respect de l’obligation de remise du DIP selon les modalités prévues par les articles L.330-3 et R.330-1 du Code de commerce est, conformément à l’article R. 330-2 du Code de commerce, sanctionné pénalement par une amende contraventionnelle de 5e classe d’un montant de 1.500 euros (par infraction, autrement dit par contrat conclu sans respecter l’obligation de remise préalable d’un DIP) porté à 3 000 euros en cas de récidive.
Mais, il a également été admis en jurisprudence que l’absence de remise d’un DIP conforme à la Loi constitue une rétention dolosive en ce qu’il s’agit d’informations essentielles et déterminantes du consentement du candidat à défaut desquelles le candidat n’aurait pas conclu un tel contrat. Il est en effet considéré dans ce cas que la rétention dolosive empêche le candidat de s’engager en pleine connaissance de l’ensemble des contraintes liées à l’exécution du contrat proposé.
Sur le fondement du dol, l’absence de remise d’un DIP conforme peut justifier, selon les cas :
- la mise en cause de la responsabilité de l’entreprise tête de réseau envers le candidat qui n’a pas pu s’engager aux conditions les plus favorables ;
- ou l’annulation rétroactive du contrat liant l’adhérent au réseau pour vice du consentement. Dans ce cas, l’annulation implique la mise en œuvre de restitution réciproques (incluant le droit d’entrée, les frais de réservation, les redevances et autres contributions au réseau) ainsi que les frais de remise en état (pose et dépose de l’enseigne et, le cas échéant, des agencements spécifiques).
Cependant pour donner lieu à une telle sanction, la non-conformité du DIP doit en principe être appréciée par rapport aux données connues au moment de sa transmission par la tête de réseau.
3. L’obligation de mise à jour du DIP en cas d’évolution significative impactant le réseau
Pour résister à l’annulation du contrat, l’entreprise-tête de réseau avait fait valoir avec succès en cause d’appel que l’état du réseau présenté dans le DIP de septembre 2010 était conforme à la réalité, peu important que le contrat n’ait été signé qu’en octobre 2011.
En l’espèce, un (long) délai de 13 mois s’était écoulé entre la remise du DIP au candidat (en septembre 2010) et la signature du contrat le liant au réseau dénommé ici « licence de marque » (en octobre 2011). Dans l’intervalle, plusieurs franchisés du réseau ont fait l’objet de liquidations judiciaires et cessé leurs activités au sein du réseau. L’état du réseau présenté en septembre 2010 n’était donc de toute évidence plus le même en octobre 2011.
Dans son arrêt du 4 décembre, la chambre commerciale de la Cour de cassation « casse » classiquement l’arrêt de la Cour d’appel de Paris au visa l’article 1116 (ancien) du Code civil (dans sa version antérieure à la réforme du droit des obligations) relatif au dol.
La Cour de cassation reproche à la Cour d’appel de ne pas avoir recherché si, entre la date de transmission du DIP et celle de la signature du contrat, la situation du réseau ne s’était pas trouvée modifiée dans des conditions telles que le franchisé ne se serait pas engagé, en particulier s’il avait été informé du nombre réel de sortie du réseau au 30 septembre 2011 par suite du prononcé de liquidations judiciaires.
Il en ressort que le nombre de franchisés sortis du réseau à cause d’une liquidation judiciaire entre la date de remise du DIP et la date de conclusion du contrat constitue donc, selon la Cour de cassation, une information déterminante du consentement, à défaut de laquelle le candidat n’aurait pas contracté.
Tenant compte de ce qui précède, l’évolution de l’état réseau dans ces circonstances justifie donc une mise à jour du DIP communiqué initialement au candidat par la tête de réseau et ce (selon notre interprétation de l’arrêt de la Cour de cassation qui est imprécis sur cet aspect), dans les conditions de l’article L. 330-3 du Code de commerce et donc au moins 20 jours avant la conclusion du contrat.
Retrouvez ici le lien vers l’arrêt de la Cour de cassation.