Quel régime procédural pour l’Action en justice du Ministère de l’Economie et des Finances exercée sur le fondement de l’article L. 442-4 du Code de commerce ?

Dans un arrêt du 28 février 2024 (pourvoi n°22-10.314 19), la chambre commerciale de la Cour de cassation vient apporter deux précisions importantes sur le régime procédural de laction du Ministère des Finances et de lEconomie (MINEFI) exercée sur le fondement de larticle L. 442-4 précité.

1. L’encadrement des pratiques commerciales abusives entre partenaires économiques

Autrement appelées Pratiques Restrictives de Concurrence ou PRC, elles sont encadrées par les articles L. 442-1 et suivants du Code de commerce qui définissent :

  • une liste de pratiques commerciales illicites au sens des articles L. 442-1 et L. 442-2 de nature à engager la responsabilité délictuelle de leur auteur telles que notamment la soumission d’un partenaire à un déséquilibre significatif ou la rupture brutale de relation commerciale établie ;
  • une liste de clauses contractuelles nulles et non avenues en vertu de l’article L. 442-3 notamment celles prévoyant le bénéfice rétroactif de remises, de bénéficier automatiquement des conditions plus favorables consenties par le cocontractant aux entreprises concurrentes ou l’interdiction de céder à des tiers les créances détenues sur son partenaire commercial.

En parallèle, le MINEFI tire de larticle L. 442-4 du Code de commerce, le pouvoir dintroduire une action en justice pour faire cesser une PRC, faire condamner les auteurs à indemniser les entreprises victimes de ces comportements abusifs ou à payer une amende civile pouvant atteindre la somme de 5 millions deuros, faire retirer les clauses nulles des contrats commerciaux, étant précisé que le Juge saisi par le Ministre de lEconomie peut dans ce cas ordonner la publication, la diffusion ou laffichage de la décision rendue

2. Le point de départ de la prescription de l’Action du MINEFI est reporté à l’ouverture de l’enquête administrative ayant permis de révéler la PRC attaquée

Faute de précision du Code de commerce, la Cour de cassation retient que laction du Ministre de lEconomie en matière de PRC est régie par la prescription quinquennale de droit commun par application de l’article 2224 du Code civil avec la précision que cette prescription de 5 ans ne commence à courir qu’à compter de la date où le Ministre de lEconomie a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.

Dans son arrêt du 28 février, la Cour de cassation approuve donc la Cour dappel de Paris davoir retenu que le point de départ du délai de prescription de l’action du Ministre (tiers à la relation commerciale en cause) ne peut pas être le jour de la commission du ou des faits constitutifs de la PRC en cause et est différé à la date de l’ouverture de l’enquête ayant mis en évidence les faits reprochés et permis au Ministre de lEconomie d’en avoir connaissance.

Cette application de larticle 2224 à laction exercée par le MINEFI a donc pour conséquence un report potentiellement indéfini de la période pendant laquelle une PRC est susceptible d’être sanctionnée judiciairement à linitiative du Ministre de lEconomie.

3. La transaction conclue entre partenaires économiques ne fait pas obstacle à l’Action du MINEFI

Dans un arrêt de 2013, la chambre commerciale de la Cour de cassation a précisé que l’article L. 442-6-I devenu depuis larticle L. 442-1 du Code de commerce institue une responsabilité d’ordre public à laquelle les parties ne peuvent pas renoncer par anticipation. En revanche, après commission des pratiques illicites, les parties sont libres daménager voire de renoncer dans le cadre dun accord transactionnel à leur droit à réparation, en contrepartie notamment du versement dune indemnité financière. (cf. Cass. Com., 16 décembre 2014, pourvoi n°13-21.363, Bull. 2014, IV, n° 186).

Le Conseil constitutionnel a cependant eu loccasion de qualifier laction du MINEFI de « répressive » dans sa décision du 13 mai n°2011-126 QPC en indiquant que, dans ce cas, le MINEFI conserve la possibilité de demander la condamnation de lauteur de la PRC en cause a minima à une amende civile à travers son action sur le fondement de larticle L. 442-6-III du Code de commerce devenu depuis larticle L. 442-4.

Tenant compte de ce qui précède, la Cour de cassation retient dans son arrêt de février 2024 que lorsquil exerce une action relative à une PRC, le MINEFI poursuit une mission de protection de l’ordre public économique français lui permettant de ne pas être lié par la volonté des partenaires commerciaux ayant renoncé irrévocablement par transaction à exercer leur droit à réparation.

La Cour de cassation approuve donc la Cour dappel de Paris davoir jugé que la conclusion d’une transaction entre les partenaires économiques n’a pas pour effet de priver le Ministre de lEconomie du pouvoir dagir en justice sur le fondement de larticle L. 442-4 du Code de commerce contre lauteur de la PRC révélée par une enquête administrative.

Cette solution peut être rapprochée de celle qui prévaut en matière pénale où la conclusion dune transaction entre auteur et victime dagissements pénalement répréhensibles ne peut porter que sur les « intérêts civils » (essentiellement les réparations financières) et est sans effet sur la faculté du Parquet à exercer laction publique et à poursuivre lauteur devant les juridictions répressives.

Retrouvez ci-dessous le lien vers la décision :

Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 28 février 2024, 22-10.314, Publié au bulletin – Légifrance (legifrance.gouv.fr)