Force majeure : quelles conséquences pour les contrats ? 

Force majeure contrats

10 mars 2025

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Roland RINALDO

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  • Droit économique

Par 2 arrêts du 26 février 2025 (pourvois n°23-21.266 et 23-20.225), la chambre commerciale de la Cour de cassation apporte des précisions intéressantes sur les effets de la force majeure sur les contrats. 

Dans ces deux affaires, des commerçants ont signé des contrats avec des organisateurs événementiels et versé, à ce titre, des frais pour réserver leurs emplacements pour des foires commerciales qui n’ont pas eu lieu à cause de la crise sanitaire du COVID-19. Ils ont alors réclamé pour l’un le remboursement des frais versés d’avance et pour l’autre une indemnisation du préjudice causé par l’annulation. Dans les deux cas les organisateurs ont opposé les clauses de force majeure des contrats. 

Après avoir rappelé la définition de la force majeure (1.), la Cour de cassation a précisé dans la première affaire les effets de la force majeure sur un contrat (2.) et indiqué dans la seconde affaire qu’une clause de force majeure ne crée pas à elle seule de déséquilibre significatif des droits et obligations des parties au contrat (3).

1. Qu’est-ce que la force majeure ?

La Cour de cassation rappelle qu’en droit français, la force majeure est définie à l’article 1218 alinéa 1er du Code civil de la façon suivante : « Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur ».

Dès lors, constitue légalement un cas de force majeure tout évènement rendant impossible l’exécution d’une obligation si elle réunit les critères cumulatifs suivants : 

  • Imprévisibilité de l’évènement de force majeure ;
  • Irrésistibilité de l’évènement de force majeure ; 
  • Extériorité de l’évènement de force majeure.

Il convient tout de même de préciser qu’il est de longue date admis que les parties peuvent déroger à cette définition légale et décider d’un commun accord de renoncer contractuellement au critère d’irrésistibilité et /ou à celui d’extériorité notamment. En pratique, les parties s’accordent dans une clause dédiée à la force majeure sur une liste (idéalement non exhaustive) d’évènements qui, à défaut d’accord des parties, ne seraient pas considérés comme constituant des cas de force majeure.

2. Quelles sont les conséquences de la force majeure ?

La force majeure est traditionnellement une cause d’exonération de responsabilité pour la partie qui ne peut exécuter son obligation (à l’exclusion notable de l’obligation de payer une somme d’argent) dont les conséquences sont réglées par une application conjuguée des articles 1218 alinéa 2 ainsi que 1351 et 1351-1 du Code civil. Il convient cependant de distinguer si la force majeure rend temporairement ou définitivement impossible l’exécution de l’obligation contractuelle.

Lorsque l’impossibilité d’exécuter l’obligation n’est que temporaire, le contrat est suspendu jusqu’à ce que l’évènement de force majeure cesse.

Lorsque l’impossibilité est définitive ou que bien que temporaire, le contrat perd définitivement son utilité à cause du retard d’exécution induit par la force majeure, le contrat est annulé rétroactivement. 

La Cour de cassation dans son premier arrêt (pourvoi n°23-21-266) relève qu’en cas d’impossibilité définitive, il convient de faire application de l’article 1229 alinéa 3 du Code civil qui dispose, rappelons-le, que : « Lorsque les prestations échangées ne pouvaient trouver leur utilité que par l’exécution complète du contrat résolu, les parties doivent restituer l’intégralité de ce qu’elles se sont procuré l’une à l’autre. Lorsque les prestations échangées ont trouvé leur utilité au fur et à mesure de l’exécution réciproque du contrat, il n’y a pas lieu à restitution pour la période antérieure à la dernière prestation n’ayant pas reçu sa contrepartie ; dans ce cas, la résolution est qualifiée de résiliation ».

La Cour de cassation considère en l’espèce que l’impossibilité d’organiser la foire étant définitive (du fait des contraintes sanitaires liées au COVID-19) et que le contrat de réservation n’ayant d’utilité qu’en cas de tenue de l’évènement, le contrat de réservation devait donc être annulé rétroactivement et le commerçant remboursé intégralement.

Une telle solution si elle paraît de bon sens interroge cependant sur la faculté des parties d’organiser contractuellement les conséquences de l’annulation rétroactive en matière de force majeure en vertu de l’article 1230 du Code civil. 

En effet, le contrat n’avait perdu toute utilité que pour le commerçant et pas nécessairement pour l’organisateur qui avait certainement avancé de son côté des frais pour organiser la foire avant son annulation qu’il escomptait probablement financer en tout ou partie par les frais de réservation perçus. 

Il faut espérer que l’utilité d’un contrat n’est pas uniquement interprétée du point de vue du client-créancier de l’obligation non financière et qu’en tout état de cause, une telle interprétation ne fait pas obstacle à l’anticipation contractuelle des conséquences de la résolution en matière de force majeure.

La Cour de cassation sera certainement amenée à préciser sa position sur ces deux points à l’avenir.

3. Est-ce qu’une clause sur la force majeure peut créer un déséquilibre significatif du contrat ? 

Dans le second arrêt (pourvoi n°23-20.255), le commerçant avait tenté de plaider devant les Juges du fond que la clause prévoyant une exonération de responsabilité en cas de force majeure pour l’organisateur créait un déséquilibre significatif des droits et obligations respectives des parties au sens de l’article L. 442-1-I-2° du Code de commerce susceptible d’engager la responsabilité de l’organisateur (ou en tout cas éviter l’application de la clause exonératoire litigieuse). 

A juste titre, la Cour de cassation considère que l’appréciation du déséquilibre significatif passe par une analyse concrète de l’économie générale du contrat et qu’à elle seule, la clause aménageant la force majeure si elle place le commerçant dans une position moins favorable que si seules les dispositions légales s’appliquent ne constitue pas pour autant un déséquilibre significatif.

Cette solution de la Cour de cassation est heureuse et ne peut qu’être approuvée sur ce point.

Retrouvez ci-dessous le lien vers les 2 arrêts cités de la Cour de cassation :

Décision – Pourvoi n°23-20.225 | Cour de cassation 

Décision – Pourvoi n°23-21.266 | Cour de cassation

Roland Rinaldo