Défaut de mise en œuvre d’une clause de conciliation préalable : quelle est la sanction encourue ?

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2 octobre 2024

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Roland RINALDO

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  • Droit économique

Dans un arrêt du 12 septembre 2024 (pourvoi n°21-14946), la Chambre commerciale de la Cour de cassation a jugé qu’en présence d’une clause de conciliation préalable et obligatoire, la saisine du Juge avant mise en œuvre de cette clause doit être jugée irrecevable, si les parties l’invoquent.

Au cas d’espèce, une clause de conciliation était insérée dans un contrat de cession de fonds de commerce entre des pharmaciens pour toute contestation relative à l’exécution du contrat.

Dès qu’un contrat prévoit une clause de conciliation préalable, la tentative de conciliation est donc obligatoire avant toute action en justice (1.) de sorte que le défaut de respect de la clause est sanctionné par l’irrecevabilité des demandes en justice faites en violation de cette clause (2.), sous réserve que les parties invoquent cette irrecevabilité (3.).

1. La force obligatoire de la clause de conciliation préalable

Il est désormais courant dans la vie des affaires (comme c’était le cas en l’espèce du contrat de cession de fonds de commerce) d’intégrer des clauses prévoyant de soumettre toute contestation relative à l’interprétation ou à l’exécution du contrat à une procédure de conciliation obligatoire. 

L’intérêt pratique d’une telle clause est bien entendu d’ « obliger » les parties à se rapprocher, avant tout procès, et de rechercher une solution amiable à leur litige pour tenter d’éviter les coûts, délais et surtout l’aléa d’une action en justice.

De telles clauses de conciliation préalables sont, sauf circonstances très particulières, fréquemment reconnues comme valables entre professionnels. Il peut également être prévu une clause de médiation préalable qui est une autre forme de mode alternatif de règlement des litiges présentant quelques différences avec la conciliation. 

Le Législateur soucieux de favoriser la résolution amiable des litiges incite désormais fortement les professionnels à inclure des clauses de conciliation ou de médiation dans leurs contrats avec des non-professionnels ou des consommateurs.

La Cour de cassation vise même dans son arrêt l’article 1134 alinéa 1 (ancien) du Code civil devenu l’article 1103 qui dispose, rappelons-le que : « Les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits ». Ce visa implique qu’une fois que la clause de conciliation préalable a été valablement acceptée, elle s’impose aux parties qui ne peuvent (en principe) pas s’en défaire – sauf accord procédural contraire que nous évoquerons dans le point 3. ci-après. 

Il convient de préciser ici que la portée d’un tel engagement porte sur la mise en œuvre de bonne foi de la procédure de conciliation et n’oblige donc pas les parties à parvenir à une issue amiable à l’occasion d’une conciliation. Il s’agit en d’autres termes d’une obligation de moyen et non d’une obligation de résultat. 

En l’espèce, la Cour de cassation approuve la Cour d’appel d’avoir déclaré les prétentions des cédants du fonds de commerce au motif que le contrat prévoit une conciliation préalablement à chaque nouvelle instance de sorte que s’ils avaient tenté une conciliation avant d’agir en référé, ils auraient également dû tenter également une conciliation préalablement à la saisine du Juge du fond. 

Une telle solution dépend certainement de la rédaction particulière de la clause de conciliation en l’espèce et n’a (peut-être) pas vocation à être transposée à la majorité des cas.

Il apparaît en effet délicat voire inopportun en pratique d’obliger les parties à initier deux fois une conciliation, une première fois au stade du référé et une seconde fois au stade de l’instance au fond, surtout si les prétentions sont similaires ou tendent aux mêmes fins (annulation de l’opération et/ou réparation du préjudice subi).

2. La sanction du défaut de conciliation préalable est une irrecevabilité

Après avoir rappelé le caractère obligatoire de la clause de conciliation préalable, la Cour de cassation au visa de l’article 122 du Code de procédure civile décide que la sanction de l’absence de mise en œuvre préalable est la fin de non-recevoir. 

Précisons ici que l’article 122 précité dispose que : « Constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée ».

L’irrecevabilité est donc un moyen permettant à une partie en défense de faire rejeter une prétention adverse sur un aspect procédural, sans examen au fond sur les mérites d’une demande en justice.

Comme le rappelle la Cour de cassation dans cet arrêt du 12 septembre 2024, l’irrecevabilité s’impose au Juge dès lors que la clause contractuelle de conciliation préalable constitue la Loi des parties. 

La logique poursuivie ici est donc d’éviter qu’une partie ne saisisse le Juge pour faire échec à des dispositions contractuelles obligatoires. Autrement dit, la partie qui saisit le Juge prématurément et en violation de la clause de conciliation obligatoire doit être (temporairement) privée du droit d’agir en justice et ce, tant qu’il n’a pas mis en œuvre la procédure contractuelle. 

Il a cependant déjà été jugé que la fin de non-recevoir tirée de l’absence de mise en œuvre préalable de la conciliation ne peut pas être régularisée en cours d’instance. La partie qui a agi prématurément en justice n’a alors d’autre choix que de se désister de l’instance irrégulièrement intentée et de saisir à nouveau le Juge après mise en œuvre de la conciliation préalable.

3. L’argument de l’irrecevabilité laissée à la diligence des parties 

La Cour de cassation tempère cette solution qui paraît de prime abord rigoureuse pour les parties, en ajoutant que la fin de non-recevoir tirée du défaut de mise en œuvre de la clause conciliation préalable obligatoire ne trouve à s’appliquer que si elle est invoquée par l’une des parties au contrat. 

Dès lors que l’irrecevabilité doit être invoquée par les parties pour trouver application c’est donc qu’elle n’est pas pour autant d’ordre public en ce qu’il s’agit pour le Juge de faire respecter une disposition contractuelle et non un impératif légal. La Cour de cassation admet donc que les parties peuvent éviter la sanction de l’irrecevabilité et poursuivre l’action en justice soit en se mettant d’accord expressément pour renoncer au bénéfice de la clause de conciliation préalable ou tacitement en invoquant pas dans leurs conclusions respectives l’application de la clause de conciliation.

Retrouvez ci-après le lien vers l’arrêt : Décision – Pourvoi n°21-14.946 | Cour de cassation

Roland RINALDO