Conventions d’achats intra-groupes : une entreprise se fournissant exclusivement auprès de sociétés du groupe auquel elle appartient peut-elle être qualifiée de grossiste ? 

Conventions d’achats intra-groupes : qualification de grossiste

2 décembre 2025

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Roland RINALDO

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  • Droit économique

La spécificité de l’activité de grossiste a longtemps échappé au Législateur. En effet, ce n’est que depuis l’entrée en vigueur de la Loi n°2021-1357 du 18 octobre 2021 (dite Egalim 2) que la notion de grossiste a enfin reçu un cadre légal spécifique. A l’occasion de la Loi Egalim 3 (Loi n° 2023-221 du 30 mars 2023), il est même apparu comme indispensable au législateur de distinguer et protéger spécifiquement ce secteur vital pour préserver l’équilibre des relations entre industriels et distributeurs notamment en lui accordant le bénéfice d’un formalisme « allégé » des conventions commerciales conclues avec ses fournisseurs et ses clients mais également une dispense d’appliquer le dispositif relatif aux pénalités logistiques de l’article L. 441-17 du Code de commerce. 

L’émergence de ce cadre spécifique et bénéfique aux grossistes a amené certains praticiens à interroger la Commission d’Examen des Pratiques Commerciales (CEPC) sur la qualification à donner à une filiale d’un groupe industriel s’approvisionnant auprès de sociétés apparentées au sein du même groupe de sociétés aux fins de revente à des distributeurs.

Après un bref rappel de la définition d’un grossiste au sens de la Loi (1.), nous présentons la solution dégagée par la CEPC dans son avis du 30 juin 2025 (2.).

1. Qu’est-ce qu’un grossiste au sens de la Loi ?

La notion de grossiste doit être réservée aux entreprises répondant strictement à la définition légale de l’article L. 441-1-2 du Code de commerce qui qualifie comme tel « toute personne physique ou morale qui, à des fins professionnelles, achète des produits à un ou à plusieurs fournisseurs et les revend, à titre principal, à d’autres commerçants, grossistes ou détaillants, à des transformateurs ou à tout autre professionnel qui s’approvisionne pour les besoins de son activité. Sont assimilées à des grossistes les centrales d’achat ou de référencement de grossistes »

Les conditions générales de vente (CGV) applicables aux grossistes, tant dans leurs relations avec les fournisseurs qu’avec les acheteurs, comprennent notamment les conditions de règlement ainsi que les éléments de détermination du prix tels que le barème des prix unitaires et les éventuelles réductions de prix.

Le formalisme des CGV applicables aux ventes à ou par des grossistes qui est allégé par rapport à celles applicables entre les distributeurs et leurs fournisseurs de produits alimentaires ou destinés à l’alimentation des animaux de compagnie en ce que l’article L. 441-1-1 du Code de commerce ne leur est pas applicable.

Par ailleurs, les grossistes sont dispensés de l’obligation de conclure une convention spécifique relative aux pénalités logistiques en application de l’article L. 441-17 du Code de commerce.

On comprend dès lors l’intérêt pour une entreprise de se prévaloir de cette qualification. Or, sont légalement exclus de cette qualification, « les entreprises ou les groupes de personnes physiques ou morales exploitant, directement ou indirectement, un ou plusieurs magasins de commerce de détail ou intervenant dans le secteur de la distribution comme centrale d’achat ou de référencement pour des entreprises de commerce de détail ». (soulignement ajouté par nos soins)

La raison généralement exprimée par le Législateur pour justifier cette exclusion est le fait qu’agir comme centrale d’achat ou de référencement pour le compte de commerçants de détails ou avoir un lien capitalistique avec lesdits commerçants fait perdre au commerçant de gros l’indépendance indispensable à l’exercice de son activité.

2. Est-ce qu’une filiale qui ne s’approvisionne qu’auprès de sociétés appartenant au même groupe est un grossiste au regard de la Loi ? 

Néanmoins, si l’article L. 441-1-2 susvisé exclut les entreprises de commerce de gros liées aux détaillants, le Législateur n’a pas expressément exclu les entreprises de commerce de gros appartenant à un groupe industriel et achetant exclusivement des produits des sociétés du groupe auquel elle appartient avant de les revendre en l’état à des distributeurs. Se posait dès lors légitimement la question dans cette hypothèse de pouvoir qualifier cette filiale de grossiste au sens de l’article L. 441-1-2 du Code de commerce.

Dans son avis, la CEPC considère donc que l’activité de grossiste est un secteur à part entière qui se caractérise par le fait que le grossiste est soumis en pratique à une double négociation : une négociation amont avec ses fournisseurs, qui sont multiples, et une négociation avale avec ses clients. Même s’il ne s’agit pas d’une condition expressément requise par la Loi pour la qualification de grossiste, l’indépendance de ce dernier vis-à-vis des fournisseurs est intrinsèque à ce secteur. En effet, l’achat-vente des produits entre l’entité fabricante et l’entité revendeuse, appartenant toutes deux au même groupe donne, selon l’analyse de la CEPC, simplement lieu à des flux financiers entre entités internes au groupe, sur la base d’une politique tarifaire définie au sein du groupe.

Dès lors, une filiale d’un industriel, s’approvisionnant au sein de son groupe, en vue de contracter avec des distributeurs, ne peut pas, selon la CEPC, être qualifiée de grossiste et est donc soumise à l’article L. 441-17 du code de commerce, notamment en ce qui concerne le plafonnement des pénalités logistiques prévu par ledit article.

Pour la CEPC, c’est donc l’absence d’indépendance, caractéristique jugée déterminante par le Législateur de la qualification de grossiste, qui justifie d’exclure dans un tel cas de figure cette filiale de la notion de grossiste. 

Si l’avis de la CEPC apparaît cohérent avec l’objectif poursuivi par le Législateur (à défaut d’être inscrit comme tel dans le texte de loi), il reste discutable au regard de l’adage bien connu des juristes, selon lequel, il n’y a pas lieu de distinguer là où la Loi ne distingue pas. Il n’en demeure pas moins qu’en l’état, l’avis de la CEPC est susceptible d’avoir un impact important et immédiat sur la contractualisation des flux intragroupes qui souvent ne sont pas formalisés. 

Vous êtes grossiste lié à un groupe industriel ou vous vous interrogez juste sur l’impact de cet avis sur vos conventions intra-groupes ? Contactez-moi pour en discuter.

Vous trouvez ci-dessous le lien vers l’avis de la Commission d’Examen des Pratiques Commerciales :

Avis n° 25-5 relatif à une demande d’avis d’un cabinet d’avocats portant sur la notion de grossiste et l’application des dispositions de l’article L. 441-17 du code de commerce

Roland RINALDO