Bail commercial : les juges du fond apportent des précisions sur le droit de préférence « Pinel »

11 juin 2025
| |- Droit immobilier
Le droit de préférence « Pinel » dont dispose le preneur à l’occasion de la vente du local commercial par le bailleur continue d’alimenter la jurisprudence des tribunaux.
David GUINET propose de s’arrêter sur deux décisions rendues par des juges du fond, d’abord sur l’exception de « cession globale » de l’immeuble, et ensuite sur la question de savoir si un preneur peut renoncer conventionnellement, par anticipation, au bénéfice de son droit de préemption.
1) Qu’est-ce que le droit de préférence « Pinel » ?
La loi du 18 juin 2014, dite « Loi Pinel », a instauré au profit du preneur à bail commercial un droit de préférence sur le local loué lorsque le propriétaire envisage de le vendre (art. L145-46-1 du Code de commerce).
Le texte prévoit plusieurs exceptions précisant que ce droit de préférence ne s’applique en cas de « cession unique de plusieurs locaux d’un ensemble commercial », de « cession unique de locaux commerciaux distincts » ou « de cession d’un local commercial au copropriétaire d’un ensemble commercial ». Il n’est pas non plus applicable à la « cession globale d’un immeuble comprenant des locaux commerciaux » ou à « la cession d’un local au conjoint du bailleur, ou à un ascendant ou un descendant du bailleur ou de son conjoint ». Il n’est pas non plus applicable « lorsqu’il est fait application du droit de préemption institué aux chapitres Ier et II du titre Ier du livre II du code de l’urbanisme ou à l’occasion de l’aliénation d’un bien sur le fondement de l’article L. 213-11 du même code ».
2) Comment doit se comprendre l’exception de « cession globale » de l’immeuble ?
Dans un jugement du 5 décembre 2024, le Tribunal Judiciaire de PARIS a été appelé à se prononcer sur l’exception de « cession globale d’un immeuble comprenant des locaux commerciaux ».
Au cas d’espèce, la vente portait sur deux lots d’un immeuble et non sur l’ensemble de l’immeuble. Soutenant que l’immeuble n’était pas vendu dans le cadre d’une transaction unique, le preneur a agi en nullité de la vente, considérant que son droit de préférence légal n’avait pas été respecté.
Le Tribunal rejette la position du preneur considérant que le droit de préférence du locataire doit s’interpréter strictement en ce qu’il constitue une restriction au droit de propriété du bailleur, de valeur constitutionnelle. Les juges ont rappelé que le droit de préférence légal ne peut ni contraindre le propriétaire-bailleur à vendre son local commercial indépendamment de ses autres biens dans le même immeuble, ni étendre le droit de préemption du locataire à des biens qui ne font pas partie de l’assiette du bail.
De notre point de vue, la limite à cette interprétation restrictive se trouve dans « l’abus » : pourrait-il suffire d’adjoindre un lot de stationnement ou de parking, non-compris dans l’assiette du bail, pour considérer qu’il s’agirait alors d’une « cession globale » et ainsi échapper au droit de préférence Pinel ? – Sans doute pas. Il reste également que les lots vendus doivent nécessairement relever du même immeuble au sens de même unité immobilière.
TJ Paris, 2ème Ch, sect. 2, 5 décembre 2024 n°21/11808
3) Le preneur peut-il renoncer par anticipation, conventionnellement, au droit de préférence « Pinel » ?
Dans l’espèce qui était soumise à la Cour d’Appel de RENNES, les parties à deux baux commerciaux renouvelés au lendemain de la Loi Pinel (en 2015), avaient inséré des clauses par lesquelles le preneur renonçait à se prévaloir du droit de préférence prévu par l’art. L145-46-1 du Code de commerce dans différentes hypothèses de vente des biens loués.
A l’époque de la rédaction de ces actes, il n’existait aucune stipulation légale permettant de considérer que le droit de préférence Pinel était d’ordre public, autrement dit qu’il serait interdit aux parties d’y déroger par contrat.
La source de l’ordre public peut être légale mais aussi jurisprudentielle.
Ainsi, par un arrêt du 28 juin 2018, la Cour de cassation a précisé que le droit de préférence reconnu au preneur par l’art. L145-46-1 du Code de commerce était d’ordre public. Cette jurisprudence s’est appliquée aux contrats en cours et a invalidé les clauses dérogeant au droit de préférence.
Dès lors, la Cour d’Appel de RENNES retient que L145-46-1 du Code de commerce étant d’ordre public, toute clause y dérogeant ne saurait produire effet.
CA Rennes, 10 décembre 2024, n°21/06909
David GUINET