Agent commercial : à quelles conditions peut-il être privé d’indemnité de rupture de contrat ?

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5 février 2025

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Roland RINALDO

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  • Droit économique

Un agent commercial au sens de l’article L. 134-1 du Code de commerce est un intermédiaire chargé, de façon permanente et à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de prestation de services, de négocier et, le cas échéant, de conclure des contrats commerciaux au nom et pour le compte d’une entreprise-mandante.

Il s’agit d’un moyen fréquemment utilisé dans la vie des affaires (en France comme à l’international) pour externaliser sa force de vente et pénétrer un nouveau marché tout en bénéficiant du réseau, des connaissances et de l’expérience de cet intermédiaire.

La rupture du contrat d’agent commercial donne droit en principe à une indemnité de rupture au bénéfice de l’agent, sauf exceptions et notamment, en cas faute grave commise dans l’exécution du contrat conformément à l’article L. 134-13 du Code commerce.

Le 4 décembre dernier, la chambre commerciale de la Cour de cassation a rendu deux arrêts (pourvois n°23-19.820 et 23-16.962) riches d’enseignements sur les caractéristiques de la faute grave susceptible de priver l’agent commercial de son indemnité de rupture.

La rupture du contrat d’agent commercial donne lieu au versement d’une indemnité destinée à réparer la perte de revenus tirés de la représentation des produits du mandant, sauf faute grave de l’agent commercial. (1.) Pour être opposable à l’agent commercial, la faute grave doit avoir provoqué la résiliation du contrat (2.) et avoir rendu impossible la poursuite de la relation contractuelle (3.).

1. L’agent commercial est en droit de bénéficier d’une indemnité de rupture, sauf faute grave

La rupture du contrat d’agent commercial génère en principe le droit pour l’agent commercial à bénéficier d’une indemnité de rupture venant compenser le préjudice lié à la perte de revenus futurs tirés du contrat conclu avec l’entreprise mandante. 

S’il n’existe pas en France de règle légale sur le calcul de l’indemnité de rupture, la jurisprudence accorde généralement une indemnité correspondant à deux années de commissions brutes sur la base de la moyenne des trois dernières années de commissions versées à l’agent commercial par l’entreprise-mandante, sauf circonstances particulières. En cas de rupture survenue avant que trois années de relations ne se soient écoulées, la jurisprudence a pu retenir une méthode d’estimation différente de l’indemnité de rupture.

Le droit de l’agent commercial au bénéfice de l’indemnité de rupture est d’ordre public. Il est également reconnu au niveau européen par la directive européenne 86/653/CE du 18 décembre 1986.

Toute clause ayant pour objet ou effet de priver l’agent commercial de ce droit doit être réputée non écrite en vertu de l’article L.134-16 du Code de commerce. 

Même le fait que l’agent commercial a en pratique perçu des commissions, postérieurement à la cessation du contrat, au titre de la prospection de tout ou partie de cette même clientèle pour un autre mandant n’est pas de nature à priver ni réduire le droit de l’agent commercial à bénéficier d’une indemnité de rupture.

L’article L. 134-13 du Code de commerce organise cependant 3 exceptions légales susceptibles de priver l’agent commercial de son droit à commission : 

  • La faute grave de l’agent commercial dans l’exécution de son contrat ;
  • La cessation à l’initiative de l’agent sauf si elle est imputable au mandant, à l’âge de l’agent (départ à la retraite) ou à sa situation de santé (arrêt-maladie) ;
  • La vente de son portefeuille à un autre agent.

En pratique, c’est naturellement sur le terrain de la faute grave rendant impossible la poursuite du contrat d’agent commercial que les entreprises-mandantes se placent le plus souvent pour échapper à leur obligation de verser l’indemnité de rupture. Ceci étant, les tribunaux veillent à ce que dans de telles circonstance la faute grave soit réelle et ne soient pas invoquée de façon opportuniste pour priver injustement l’agent commercial de son droit à indemnisation. 

Les deux arrêts rendus par la Cour de cassation le 4 décembre dernier illustrent parfaitement le rôle de garde-fous joué par les tribunaux en matière de résiliation du contrat d’agent commercial.

2. Pour être opposable à l’agent, la faute grave doit avoir provoqué la rupture 

Dans l’espèce ayant donné lieur au premier arrêt (pourvoi n°23-19.820), l’entreprise-mandante a confié la commercialisation de kits de piscine et d’équipements et accessoires à l’agent commercial avant de lui reprocher dans son courrier de résiliation des fautes et erreurs commises à l’occasion de différents chantiers ainsi que l’emploi d’un mode erroné de calcul de ses commissions lors de leur facturation. Tous ces éléments pris dans leur ensemble étaient constitutifs, selon la mandante, d’une faute grave du fait du caractère répété et de l’accumulation des erreurs et fautes commises par l’agent commercial.

La Cour de cassation considère néanmoins que la faute grave n’est exclusive du droit à indemnité de l’agent que si elle a provoqué la rupture du contrat. Ceci implique que le mandant a eu connaissance des griefs reprochés à la date de la résiliation et les a spécialement invoqués à l’appui de son courrier de résiliation. 

Toujours selon la Cour de cassation : le Juge ne peut rejeter la demande en paiement de l’indemnité de rupture s’il ne peut pas constater, fût-ce d’office, que la cessation du contrat d’agence à l’initiative du mandant a bien été provoquée par la faute grave de l’agent commercial invoquée dans le courrier de résiliation. 

Doivent dès lors être écartés comme ne justifiant pas d’une faute grave : 

  • Les faits inconnus du mandant à la date de la résiliation et qui n’ont été découverts qu’après et qui (par définition) ne sont pas évoqués dans le courrier de résiliation ;
  • Les faits (connus lors de la résiliation) qui n’ont pas été invoqués dans le courrier de résiliation ;
  • Mais également les faits qui bien qu’invoqués dans le courrier de résiliation ne sont pas suffisamment établis matériellement par le mandant.

En l’espèce, le mandant a invoqué dans le cadre du contentieux judiciaire la répétition de fautes commises sur différents chantiers qui pour certaines n’étaient pas établies et pour d’autres n’avaient été découvertes qu’après la notification de la résiliation. Dans tous les cas, la Cour de cassation considère que les fautes reprochées n’ont pas provoqué la résiliation et ne peuvent donc priver l’agent commercial de son droit à indemnisation.

Il reste tout de même permis de penser que si le mandant n’avait pas évoqué dans son courrier de résiliation que la gravité était liée la répétition des fautes invoquées mais plutôt apprécier la gravité de la faute commise pour chaque chantier pris isolément, la solution aurait (peut-être) été différente.

3. Pour être opposable à l’agent, la faute grave doit avoir rendu impossible la poursuite de la relation contractuelle

Dans l’espèce ayant donné lieu au second arrêt (pourvoi n°23-16.962), l’agent déplorant des retards de paiement de ses commissions a assigné l’entreprise-mandante en résiliation judiciaire du contrat d’agent commercial pour non-paiement de ses commissions, violation de son exclusivité et défaut de coopération et d’information, et en paiement des commissions dues au titre des contrats conclus pendant la durée d’exécution du contrat d’agent commercial et de celles dues au titre du droit de suite. A titre reconventionnel, la mandante a demandé aux juges de constater la résiliation aux torts de l’agent pour faute grave.

La Cour d’appel de Versailles a fait droit à la demande de la mandante et prononcé la résiliation du contrat d’agence commerciale à la date du 18 avril 2018 aux torts exclusifs de l’agent commercial ainsi que le rejet des demandes indemnitaires de l’agent au motif que le contrat avait cessé à cette même date et en faisant courir à partir de ladite date le délai de préavis raisonnable au sens de l’article L. 134-7 du code de commerce. 

L’agent commercial interjette alors un recours contre l’arrêt de la Cour de Versailles.

La Cour de cassation, après avoir rappelé que la faute grave est celle qui rend impossible le maintien du lien contractuel, constate que, par lettre du 19 janvier 2019, la mandante a déclaré vouloir poursuivre le contrat et qu’en pratique, la relation contractuelle s’est poursuivie, fût-ce de façon résiduelle, jusqu’en août 2021 de sorte que la faute reprochée à l’agent commercial qui n’a manifestement pas empêché la poursuite de la relation contractuelle entre les parties, ne présente pas les caractères de la faute grave privative de l’indemnité de rupture. 

A l’évidence, il n’était donc pas cohérent au regard de l’attitude des parties de refuser à l’agent commercial le bénéfice de l’indemnité de rupture ni de considérer rétrospectivement dans le cadre de la demande judiciaire de résiliation du contrat d’agent commercial que cette dernière était intervenue pour faute grave près de trois ans avant la fin effective de la relation contractuelle.

Retrouvez ci-dessous le lien vers les 2 arrêts cités de la Cour de cassation :

Décision – Pourvoi n°23-19.820 | Cour de cassation

Décision – Pourvoi n°23-16.962 | Cour de cassation

Roland Rinaldo