Saisie de preuves avant tout procès : quand et comment invoquer la protection de ses secrets d’affaires devant le Juge ?

Saisie de preuves avant tout procès : quand et comment invoquer la protection de ses secrets des affaires devant le Juge ?

9 juillet 2025

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Roland RINALDO

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  • Droit économique

Dans un arrêt rendu le 14 mai 2025 (pourvoi n° 23-23.897), la Chambre commerciale de la Cour de cassation a précisé les conditions dans lesquelles une entreprise visée par une saisie de documents dans le cadre d’une mesure d’instruction in futurum(avant tout procès) sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile (CPC) peut utilement opposer le secret des affaires. 

En l’espèce, un litige est apparu lorsqu’une entreprise a constaté une fuite de clientèle au profit d’une société concurrente créée par trois anciens salariés démissionnaires. S’estimant victime de concurrence déloyale, cette entreprise a obtenu du Président du Tribunal de commerce de Bordeaux l’autorisation de faire saisir par l’intermédiaire d’un Commissaire de justice des documents dans les locaux de sa concurrente. Comme il est désormais d’usage, la saisie a été assortie d’un séquestre provisoire des documents « jusqu’à qu’il en soit autrement ordonné, par décision de justice contradictoire ou jusqu’à accord amiable des parties ».

A l’occasion de la demande de mainlevée de séquestre, la société saisie a tenté de s’y opposer en invoquant la protection de ses secrets d’affaires mais sa demande jugée hors délai a été rejetée tant en première instance qu’en appel. 

Après un bref rappel de ce qu’est une saisie probatoire avant tout procès (1.), nous présenterons la solution dégagée par la Cour de cassation dans cet arrêt (2.).

1. Qu’est-ce qu’une saisie probatoire avant tout procès ?

Rappelons que l’article 145 du CPC prévoit que « S’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé ».

La preuve des faits de concurrence déloyale étant parfois difficile à rapporter, ce texte permet de saisir chez son adversaire ou chez un tiers dans le cadre de ce qu’il convient d’appeler une « perquisition civile » les éléments de preuves utiles au succès du futur procès et ce, avec le concours d’un commissaire de justice accompagné, le cas échéant, d’un expert informatique et de la force publique.

Ce mode d’administration de la preuve permet même, dans certaines circonstances spécifiques, d’obtenir sur pied de requête et donc de façon non-contradictoire et rapide l’autorisation de pratiquer ces saisies probatoires permettant de ménager l’effet de surprise nécessaire au succès de la collecte d’informations et la réalisation de constatations « sur le fait ». 

Sans atténuer l’efficacité des saisies, il est cependant apparu nécessaire de préserver les intérêts légitimes de la partie visée par la saisie probatoire s’agissant notamment de la protection d’informations sensibles tels que les données personnelles qu’il détient (et qui peuvent appartenir à un tiers au litige), ainsi que celles par ailleurs couvertes par le secret médical, le secret bancaire, le secret-défense ou encore le secret des correspondances entre un avocat et son client. 

C’est pourquoi les tribunaux ont instauré pour les mesures autorisées de façon non-contradictoire un mécanisme de séquestre provisoire des preuves saisies et « créé » un filtre à leur transmission en tout ou partie au demandeur de la saisie qui ne peut intervenir qu’à l’issue d’un débat contradictoire devant un Juge sur l’utilité des pièces pour la solution du litige et la proportionnalité de la mesure au regard de la nécessité de préserver les intérêts légitimes des parties. 

Cette pratique a depuis été codifiée par le décret n°2018-1126 du 11 décembre 2018 relatif à la protection du secret des affaires au sein de l’article R. 153-1 du Code de commerce qui dispose que : 

« Lorsqu’il est saisi sur requête sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile ou au cours d’une mesure d’instruction ordonnée sur ce fondement, le juge peut ordonner d’office le placement sous séquestre provisoire des pièces demandées afin d’assurer la protection du secret des affaires

Si le juge n’est pas saisi d’une demande de modification ou de rétractation de son ordonnance en application de l’article 497 du code de procédure civile dans un délai d’un mois à compter de la signification de la décision, la mesure de séquestre provisoire mentionnée à l’alinéa précédent est levée et les pièces sont transmises au requérant. 

Le juge saisi en référé d’une demande de modification ou de rétractation de l’ordonnance est compétent pour statuer sur la levée totale ou partielle de la mesure de séquestre dans les conditions prévues par les articles R. 153-3 à R. 153-10 ».

2. La demande de mainlevée du séquestre pour non-respect du secret des affaires est-elle recevable à défaut de référé-rétraction dans le délai d’un mois ? 

En l’espèce, la Cour de cassation retient que « lorsqu’aucune demande de modification ou de rétractation de son ordonnance n’a été présentée dans le délai d’un mois par le saisi, ce dernier n’est plus recevable à invoquer la protection du secret des affaires pour s’opposer à la levée de la mesure de séquestre provisoire et à la transmission des pièces au requérant. »

La sanction de l’inaction de la partie saisie est donc seulement l’irrecevabilité à invoquer la protection du secret des affaires et non la levée automatique du séquestre provisoire et la transmission automatique des documents qui doit toujours être demandée par le demandeur à la saisie.

Ainsi l’entreprise qui fait l’objet d’une mesure de saisie probatoire et entend opposer le secret des affaires doit-elle assigner très rapidement en référé-rétractation dans le délai d’un mois prévu par l’article à l’article R. 153-1 du Code de commerce, sous peine d’être irrecevable à s’en prévaloir ensuite.

Il ressort cependant de l’attendu de cet arrêt que cette solution est (pour l’heure) limitée à la protection du secret des affaires et ne devrait donc pas s’étendre : 

  • Au référé-rétractation de droit-commun fondée sur des chefs d’irrecevabilité de la requête au regard des critères de l’article 145 du CPC (tels que la prescription de l’action future, l’absence d’intérêt légitime du demandeur, l’existence d’une action en cours, l’absence de motif légitime à déroger au principe du contradictoire etc.) qui n’est, en principe, enfermé dans aucun délai ;
  • A l’opposition à la levée du séquestre fondée sur d’autres moyens que la protection du secret des affaires ;
  • A l’opposition à la levée du séquestre initiée par un tiers non visé par l’ordonnance mais concerné par les documents saisis qui pourrait, en tout état de cause, invoquer la violation de ses secrets d’affaires. 

Que vous soyez victime d’actes de concurrence déloyale ou que vous soyez visés directement ou indirectement par une perquisition civile, il est donc essentiel de vous faire assister dès que vous en avez connaissance afin de protéger efficacement vos droits en justice et d’assurer l’effectivité de vos recours.

Vous trouvez ci-dessous le lien vers l’arrêt cité de la Cour de cassation :

Décision 14 mai 2025 – Pourvoi n°23-23.897 | Cour de cassation 

Roland RINALDO
roland.rinaldo@avodire.fr

Chloé NEJJARI
chloe.nejjari@avodire.fr